Hissé au creux d’un nuage d’où j’observe le Liban perdre son identité, à l’heure où je me prépare avec les autres âmes à commémorer les 5 ans de l’explosion apocalyptique du 4 aout 2020, les ailes des avions de chasse israéliens me frôlent de leur élan, manquent de me faire tournoyer dans leur vol macabre pendant qu’ils sillonnent impunément le ciel libanais prêts à larguer leur énième bombe.
Avant de rejoindre le cortège des âmes, j’étais quelqu’un qui aimait la vie. Puis le 4 août est arrivé et je suis parti, dans le grondement sourd d’une déflagration d’une violence inouïe qui a déchiqueté mes vêtements, mes tympans, mes narines, mes yeux, mes organes, mon cerveau, me ramenant à l’état où j’avais vu le monde, à l’état d’âme, dans une nudité fragile dont je n’avais plus la possibilité d’avoir honte.
Peu importe ce que j’étais en train de faire, ç’aurait pu être jouer, goûter, ranger, conduire, travailler, soigner, secourir, éteindre le feu, guérir sur un lit d’hôpital, dévaler les escaliers ou observer le feu impressionnant du port. Peu importe. J’étais occupé à être en vie, heureux ou triste, fatigué ou détendu, occupé à grandir, à vieillir, à réparer ou à m’embrouiller, occupé à être humain. J’étais vivant. Peu importe. Le résultat est le même.
Il y a eu foule au-dessus de Beyrouth, en ce début de soirée d’été. Nous étions plusieurs à rejoindre le firmament laiteux à plus ou moins quelques secondes, quelques minutes, quelques heures, quelques jours, quelques semaines près. Certains ont parsemé leur ADN dans les ruines de la ville, à plusieurs kilomètres à la ronde. Leurs familles ont enterré des restes, dans l’indifférence d’un pouvoir crapuleux, prêt à tout pour camoufler son crime. Victimes de la même folie meurtrière, nos âmes, elles, étaient intactes. Nous nous sommes attendus, nous nous sommes tenus par la main avant de rejoindre le ciel.
J’ai toujours le souvenir de cette vague létale. Comment l’oublier ? Personne ne peut l’oublier. Je l’ai senti venir, je l’ai vu arriver vers moi sans me douter une seconde qu’elle devait être aussi sérieuse dans sa volonté de raser tout ce qui se trouverait sur son passage. Cette vague ondoyait avec une insolence telle, qu’elle a laissé certaines âmes dans un état intermédiaire d’agonie atroce élastique dans le temps et qui dure depuis ce jour maudit.
Les coupables derrière cette déflagration absurde d’une puissance terrifiante ressentie jusqu’aux côtes chypriotes courent toujours. Ils ont stocké des sacs de nitrates d’ammonium dans le port et les causes de l’explosion de cette matière dangereuse varient entre négligence, complicité, crime prémédité, raid ou autres théories, l’enquête n’ayant toujours pas abouti après 5 ans.
Et dire qu’on se devait de punir les coupables quelques jours seulement après cette explosion considérée comme une des plus puissantes explosions non-nucléaire de l’histoire ! Balivernes !
Après 5 ans, personne n’a été jugé et le résultat est le même. Nous ne reposons toujours pas dans la paix d’une justice nécessaire pour le repos des âmes, nos proches ainsi que les Libanais solidaires de leur peine cherchent des réponses, mais leur acharnement à exiger la vérité tombe dans l’oreille d’un nouveau pouvoir auquel nous avions cru, mais qui s’est avéré être aussi sourd que le précédent.
QUAND allons-nous savoir la VÉRITÉ sur l’explosion du port ?
QUAND les CRIMINELS responsables de cette explosion seront ils JUGÉS ?
QUAND pourrions-nous enfin REPOSER EN PAIX ?