Lors de l’inauguration de “Impressions of paradise” le 20 juin dernier, les vols ne se posaient peut-être plus à Beyrouth, mais c’est pourtant là, métaphoriquement, qu’atterrissaient ceux du Pavillon Nuhad Es-Said pour la Culture. Alors que la haute saison touristique du Liban s’embourbait dans une incertitude suspendue, la deuxième exposition du Pavillon, « Impressions de paradis », arrivait à point nommé.
Alors que le soleil se couchait sur le centre-ville de Beyrouth, un public averti composé d’artistes, de curateurs et d’amateurs éclairés s’est réuni pour inaugurer cette exposition imaginée par Nour Osseiran. Séduisantes et idéalisées, les œuvres et affiches du Liban entre les années 1920 et 1970, issues des industries du tourisme, du cinéma et de la culture, évoquent une identité libanaise paradisiaque, une vision qui perdure dans notre mémoire collective.
Le conseiller artistique derrière cette archive haute en couleurs, Gaby Daher, qui a aidé Philippe Jabre à constituer sa collection, était présent au vernissage. Nous avons saisi l’occasion pour nous entretenir avec lui sur l’histoire de cette collection.
Le Liban à travers le regard des autres
C’est en 1989 que Gaby Daher commence à collectionner des oeuvres liées au Liban et plus précisément, des œuvres réalisées par des étrangers. La même année, à Londres, il fait la connaissance de Philippe Jabre, alors focalisé sur la collection d’œuvres d’artistes libanais. Gaby lui propose une autre approche : pourquoi ne pas rassembler des représentations du Liban vues à travers des yeux étrangers ?
Philippe ne soupçonnait même pas l’existence d’un tel corpus issu de la communauté artistique internationale, raconte Daher. Aujourd’hui les œuvres exposées ne représentent qu’une infime partie d’un fonds bien plus vaste, qu’il a patiemment constitué en collaboration avec Jabre. Ensemble, ils ont acquis des peintures venues des quatre coins du monde, réalisées par des artistes ayant foulé le sol libanais, ou l’ayant imaginé.
Une destination touristique d’envergure internationale
Le cœur de l’exposition est constitué d’une série d’affiches commandées en 1960 par Middle East Airlines (MEA). Cette campagne visait à promouvoir le voyage avec l’une des compagnies aériennes les plus prestigieuses de la région. D’Amman à Genève, en passant par Bagdad, ces affiches illustrent les différentes destinations desservies par la MEA, sublimées par les couleurs éclatantes du célèbre illustrateur français Jacques Auriac, également connu pour ses créations iconiques pour Air France.
Après la guerre, la MEA avait perdu toute trace de ces affiches. Gaby Daher raconte avoir retrouvé les 17 premières en France, puis, il y a deux ans à peine, en avoir déniché une de plus en Italie, rapprochant ainsi sa collection d’un ensemble quasi complet des 21 visuels originaux.
Céline Dagher © The Nuhad Es-Said Pavilion for Culture
Parmi les pièces les plus rares figure une affiche de la compagnie ferroviaire PLM (Paris-Lyon-Méditerranée), traduite ensuite en arabe pour séduire une clientèle égyptienne en quête de villégiature estivale au Liban. Gaby l’a acquise à Paris il y a une quinzaine d’années. Cette commande du ministère français du Tourisme s’inscrivait dans une époque où le Liban ambitionnait d’affirmer son identité sur la scène internationale : modernité, cosmopolitisme et prestige mondial.
Autre pièce marquante : une affiche commandée par le Casino du Liban en 1959. Véritable symbole du luxe à l’époque, le Casino attirait les élites internationales tout en participant activement à forger l’image du Liban comme haut lieu de divertissement raffiné.
« Un pays suspendu entre fantasme et réalité vécue »
L’exposition juxtapose ces documents d’archives à des œuvres contemporaines, révélant le contraste entre les visions utopiques d’un âge d’or supposé et les réalités actuelles. Des artistes tels que Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Lamia Joreige ou encore Said Baalbaki viennent déconstruire les mythes véhiculés par ces affiches d’un autre temps avec leurs propres œuvres empreintes de lucidité.
« Plutôt que de reconstruire une utopie, ces artistes en explorent les ruines, retraçant les dissonances entre image et réalité, entre nostalgie et violence », explique la curatrice Nour Osseiran.
Parmi ces œuvres contemporaines, The Story of a Pyromaniac Photographer de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige marque un tournant. Cette pièce, première étape de leur série Wonder Beirut, s’inspire de photos commandées dans les années 60 à Abdallah Farah pour créer des cartes postales idylliques du Liban — des lieux qui seront ensuite détruits pendant la guerre. Dans un geste symbolique et radical, le photographe brûle les négatifs de ces clichés, documentant chaque étape de leur destruction. Ce geste artistique fort vient mettre en lumière l’illusion des images parfaites exposées tout à côté.
Une mémoire en technicolor, entre rêve et désillusion
Cette collection ne se contente pas d’ouvrir une fenêtre sur le passé. Elle nous plonge dans une époque révolue, celle d’un Liban glamour, empreint d’aspirations culturelles et touristiques. Les palettes vives, les scènes baignées de soleil évoquent une nostalgie presque irréelle, surtout à la lumière des bouleversements récents du pays.
Ces affiches ne font pas qu’annoncer une destination, elles projettent un fantasme. Un fantasme qui continue d’alimenter la mémoire, le désir et l’imaginaire collectif autour du Liban.
En confrontant ce passé magnifié au présent incertain, « Impressions de paradis » nous rappelle que le temps laisse toujours des traces — dans les plis, les teintes passées, les fissures visibles. En ces temps incertains où des décennies semblent s’écouler en accéléré, cette collection nous invite à réfléchir aux transformations profondes qui façonnent encore aujourd’hui l’identité du Liban.
Curatrice : Nour Osseiran
Catalogue : Marie Tomb
Scénographie : Atelier meem noon
Graphisme : Studio 7w20
Mansour Dib © The Nuhad Es-Said Pavilion for Culture