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Le chœur des Musicales du Liban à Saint Sulpice à Paris

MUSIQUE

29/06/2025

Le festival Musicales du Liban à Paris fondé en 2019 par Zeina Saleh Kayali et Georges Daccache et qui valorise et diffuse la musique savante libanaise, était jusqu’ici plutôt tourné vers le récital et la musique de chambre. Mais il se développe et, en 2024 se dote d’un chœur. Fadi Khalil, chef de choeur et Emilio Matar administrateur et chanteur, tous deux membres de l’association du Festival, racontent cette aventure à l’Agenda culturel, alors qu’un concert fort réussi vient d’être donné à guichets fermés en l’Eglise Saint Sulpice à Paris.


Pourquoi avez-vous souhaité fonder ce chœur ?

Emilio Matar : J’ai rejoint l’équipe du festival Musicales du Liban en 2020, un an après sa création, lorsque j’ai quitté Beyrouth pour m’installer à Paris. Entre 2021 et 2024, nous avons programmé de magnifiques concerts, parmi lesquels un concert choral qui a rencontré un très bel écho auprès du public. De mon côté, cela faisait plus de vingt ans que je chantais et que je m’impliquais dans l’administration d’orchestres et, surtout, de chœurs. J’ai eu la chance de collaborer étroitement avec Fadi Khalil pendant toutes ces années, en participant ensemble à la production de de grands concerts au Liban et dans plusieurs pays arabes. Parallèlement, plusieurs amis choristes, avec qui je chantais à Beyrouth, se sont eux aussi installés en France. J’ai donc naturellement senti qu’il existait ici, à Paris, une énergie, un réseau, une mémoire commune qu’il fallait mobiliser. Lorsque j’ai proposé l’idée de créer un chœur au sein du festival, j’ai reçu un accueil extrêmement positif et un soutien très fort de la part de l’équipe, ce qui m’a beaucoup encouragé. J’ai alors proposé le nom de Fadi Khalil pour diriger ce nouvel ensemble, un choix évident pour moi, et qui a été accueilli avec enthousiasme par tous. Plus qu’une simple continuité artistique, ce projet représente avant tout une nouvelle aventure portée par l’effervescence culturelle parisienne.


Fadi Khalil : Depuis 2021, j’entretenais déjà des liens étroits avec les Musicales du Liban, pour lesquelles j’offrais mes services de graphiste pour leurs concerts. Au printemps 2024, je commençais à m’installer à Paris, comme beaucoup de jeunes Libanais qui ont emprunté ce chemin ces dernières années. C’est à ce moment-là que Zeina Saleh Kayali, la présidente des Musicales, accompagnée des membres du comité du festival — Georges Daccache, Micheline Ferran et Emilio Matar — m’a proposé de rejoindre l’équipe du festival. L’idée de fonder un chœur lié au festival venait d’Emilio, qui a également suggéré que j’en assure la direction. Sa proposition a immédiatement trouvé un écho favorable auprès des autres membres du comité. Ce fut pour moi une grande joie de travailler sur un tel projet avec Emilio, avec qui j’avais déjà partagé une expérience similaire à Beyrouth. C’était aussi une vive émotion de retrouver à Paris certains collègues avec lesquels nous avions chanté de nombreuses années au Liban, et qui se retrouvent aujourd’hui ici.




La gestion d’un chœur de 40 personnes n’est pas chose aisée comment vous y prenez-vous concrètement ?

E.M. : Gérer un chœur de quarante personnes, c’est avant tout une aventure humaine. Cela demande de la rigueur, bien sûr, mais surtout un véritable esprit d’équipe, du dévouement, et une attention constante portée à la qualité des relations humaines. Nous avons la chance d’avoir constitué une très belle équipe, où les rôles sont bien répartis, mais jamais figés. Zeina Saleh Kayali et Georges Daccache, les fondateurs du festival, sont très impliqués, tout comme Micheline Ferran, Maria Azar, Pierre El Khoury, Lynn El Haddad, Alexis el Haibi, Fadi Khalil, notre chef de chœur, et moi-même. Chacun assume des responsabilités, mais dans un esprit de souplesse: personne n’est enfermé dans un ‘silo’ et nous sommes tous prêts à nous relayer lorsque l’un ou l’autre est pris par ses engagements professionnels ou personnels. C’est une condition essentielle dans un contexte comme Paris, où nos rythmes de vie sont intenses et parfois imprévisibles. Mais surtout, nous accordons une grande importance à l’aspect humain : prendre le temps de connaître les choristes, de répondre à leurs besoins, de créer un lien. Pour nous, le chœur doit rester un espace de plaisir, de beauté et de respiration dans un quotidien souvent chargé. Le vrai défi, c’est de réussir à absorber la pression des échéances et des représentations pour préserver cette atmosphère de joie partagée. C’est ce qui, je crois, donne au projet sa solidité et sa chaleur.


F.K. : Ce chœur rassemble une belle mosaïque humaine et culturelle de chanteurs libanais, français et d’autres nationalités, aux parcours très variés. Certains sont étudiants, d’autres travaillent, et la tranche d’âge est assez large. L’expérience musicale est tout aussi diverse : pour certains, c’est une première aventure chorale, tandis que d’autres cumulent des dizaines d’années de chant. Cette diversité rend la gestion parfois complexe, mais surtout profondément enrichissante. Ce qui facilite la tâche, c’est l’expérience que j’ai partagée avec Emilio au Liban dans la gestion d’ensembles similaires. Elle nous a appris à créer un espace où chacun se sent accueilli, écouté et respecté, et à bâtir une dynamique collective fondée sur la bienveillance, l’enthousiasme et le sens du projet commun. Il nous fallait cultiver une atmosphère à la fois sérieuse et joyeuse, où l’on puisse travailler en profondeur tout en préservant le plaisir simple et sincère de chanter ensemble.


Vous venez de donner un concert triomphal en l’Eglise Saint Sulpice à Paris Quel en était le programme ?

E.M. : Le concert du 27 juin à l’église Saint-Sulpice a été un moment fort pour notre chœur. Sous la direction de Fadi Khalil, nous avons interprété le Requiem de Gabriel Fauré dans sa version pour chœur, solistes et orgue une version épurée et méditative, qui fait ressortir toute la tendresse et la profondeur de cette œuvre emblématique. En miroir à ce chef-d’œuvre du répertoire français, nous avons souhaité mettre en lumière la création contemporaine libanaise : le programme a inclu le Requiem du compositeur arméno-libanais Sevag Derghougassian, ainsi que le Sanctus de Ramzi Kandalaft, une œuvre inédite commandée spécialement par le festival pour ce concert. Ces deux œuvres étaient des créations mondiales. Nous avons eu également le plaisir de présenter une œuvre pour orgue d’Alexandre Boëly, compositeur français du XIXe siècle, et une improvisation sur un thème libanais, proposée par Axel de Marnhac, qui a accompagné l’ensemble à l’orgue tout au long du concert. Nous avons été rejoints par deux solistes talentueux : Marthe Davost, soprano, et Adrien Fournaison, baryton-basse.


F.K. : Le concert du 27 juin à l’église Saint-Sulpice a mis en dialogue deux Requiem : celui du compositeur libanais Sevag Derghougassian (en création mondiale) et celui de Gabriel Fauré. Entre les deux, nous avons présenté le Sanctus de Ramzi Kandalaft, une commande du festival créée pour l’occasion, ainsi que le Benedictus d’Iyad Kanaan. Le programme était également constitué de deux pièces pour orgue solo : Allegro ma non troppo de Boëly, et une improvisation sur un thème maronite. Et comme l’a dit Emilio, nous avons été rejoints par deux excellents solistes.


Quelle est la particularité de ce programme ?

E. M. : Il reflète pleinement l’esprit du festival et sa volonté de faire dialoguer les cultures musicales. Il mêle avec équilibre un grand classique du répertoire choral occidental et des œuvres contemporaines libanaises, dans une mise en regard artistique et spirituelle. Le Requiem de Gabriel Fauré est une œuvre incontournable que tout chœur, un jour ou l’autre, se doit de chanter. Certains de nos choristes la connaissaient déjà, d’autres la découvrent cette année, ce qui crée une belle dynamique de transmission au sein du groupe. C’est une pièce profondément humaine, lumineuse et sobre, que nous avons choisi d’interpréter dans sa version la plus intime, à savoir avec orgue. En écho, le Requiem de Sevag Derghougassian propose une approche très différente : c’est une œuvre aux couleurs vocales riches, écrite dans un langage contemporain et sensible. Elle se distingue notamment par l’usage de trois langues, l’anglais, le latin et l’arménien qui viennent porter des textes spirituels avec une grande force expressive. Nous avons eu aussi le privilège de présenter, en première mondiale, le Sanctus de Ramzi Kandalaft, une œuvre brève et lumineuse, parmi les premiers essais chorals du compositeur talentueux de 27 ans. Son langage harmonique s’inscrit dans la tradition du tournant XXe–XXIe siècle, avec une grande variété rythmique, sur un texte latin classique. L’ensemble compose un programme cohérent, mais riche en contrastes, qui illustre bien notre désir de croiser les héritages, d’ouvrir des fenêtres entre les répertoires, et de valoriser la création libanaise savante dans un cadre exigeant et prestigieux.


F.K. : Ce programme présente a priori un dialogue très contrasté entre deux visions du Requiem. D’un côté, celui de Fauré — une œuvre emblématique du répertoire sacré français, peut-être la plus intime et la plus lumineuse de tout le genre. De l’autre, le Requiem de Sevag Derghougassian, une œuvre bouleversante construite à partir de textes variés tirés de la littérature arménienne et française, avec quelques réminiscences du texte latin traditionnel. Le programme a offert également la première mondiale du Sanctus du jeune compositeur libanais Ramzi Kandalaft, commande du festival spécialement écrite pour ce concert, qui évoque les harmonies françaises du début du XXe siècle. À cela s’ajoute le Benedictus d’Iyad Kanaan, une pièce courte d’environ trois minutes, qui rappelle le style de Mozart par son élégance et sa clarté. C’est un duo intimiste entre soprano et baryton, soutenu par un accompagnement d’orgue. Enfin, les deux pièces pour orgue solo apportent elles aussi un contraste intéressant : L’Allegro ma non troppo de Boëly, et une improvisation sur un thème du Requiem maronite — تعطّف يا ربّ وأصغ سمعًا لتوسّلاتنا — qui vient faire le lien avec l’univers spirituel oriental. Cette improvisation sert de pont pour nous ramener, en douceur, vers la conclusion du concert avec le Requiem de Fauré.


Comment le chœur, à majorité de choristes libanais, a pu s'inscrire dans la mission du festival ? (faire découvrir le patrimoine libanais, création, commande, dialogue avec le répertoire musical mondial)

E.M. : Bien que le chœur compte de nombreux choristes libanais ou d’origine libanaise, il ne se limite pas à une seule identité culturelle. Au contraire, l’un de nos objectifs fondamentaux est de favoriser l’échange humain et artistique, en intégrant aussi des choristes français et internationaux. Et à cet égard, nous pensons être sur la bonne voie : notre chœur rassemble aujourd’hui des chanteurs venus d’horizons très variés, Liban, France, Ukraine, Tunisie, Argentine, et issus de parcours multiples, qu’ils soient étudiants, jeunes professionnels ou musiciens amateurs en voie de professionnalisation. À leurs côtés, notre pianiste accompagnateur Yusuke Ishii, un musicien japonais très talentueux, participe pleinement à cette dynamique d’ouverture. Cette diversité se reflète aussi dans nos découvertes communes. Pour beaucoup d’entre nous, la musique savante libanaise est un univers que nous explorons ensemble, avec curiosité et enthousiasme. Cette aventure musicale devient ainsi un espace d’échange culturel à part entière, où chacun apprend de l’autre. En parallèle, nous nous engageons activement dans la création contemporaine : plusieurs œuvres libanaises font partie de notre programme, dont des pièces commandées spécialement par le festival grâce au soutien de nos généreux mécènes et particulièrement Philippe Helou sans qui rien n’aurait été possible. Le chœur ne fait pas qu’accompagner la mission du festival : il en est aujourd’hui une composante essentielle, un prolongement vivant et collectif de sa vocation à faire rayonner la musique libanaise. Et nous continuons à recruter ! Nous accueillons avec plaisir de nouveaux choristes, en particulier de jeunes hommes, afin d’enrichir encore les voix graves de l’ensemble et de poursuivre cette belle dynamique collective.


F.K. : Le chœur du festival a été fondé avec l’idée centrale d’être un espace de dialogue et d’échange, une mission qu’il incarne à travers plusieurs axes complémentaires. D’abord par sa composition humaine : les choristes viennent du Liban, de France, et d’autres pays encore. Ils représentent des générations, des horizons et des parcours variés. Ensemble, ils forment une mosaïque humaine exceptionnelle, réunie par un même élan : faire de la musique ensemble, dans un esprit de joie partagée et de quête artistique. Ensuite, par le choix du répertoire, qui cherche à faire dialoguer le patrimoine musical libanais avec le grand répertoire choral mondial. Ce croisement enrichit les chanteurs venus d’horizons divers, tout en faisant découvrir au public la richesse d’un répertoire souvent méconnu. Ce travail s’approfondit également à travers les collaborations avec des artistes invités — chanteurs, instrumentistes, chefs — qui apportent leur regard, leur expérience et leur sensibilité, créant un échange fécond avec la chorale et avec les œuvres libanaises. À cela s’ajoutent les commandes et créations mondiales, comme celle du Sanctus de Ramzi Kandalaft, commande du festival, et qui a été donnée en première mondiale le 27 juin à Saint-Sulpice. Ces initiatives s’inscrivent dans une volonté active d’enrichir et de faire rayonner le répertoire choral libanais contemporain. Enfin, le chœur accorde une attention particulière au lien avec le public, que nous cherchons sans cesse à élargir. En se produisant dans plusieurs églises et salles à travers Paris, nous multiplions les occasions de rencontre. Cela nous permet d’explorer des lieux magnifiques, porteurs d’histoire et d’acoustique, tout en allant à la rencontre de nouveaux publics, qui découvrent à la fois la chorale et la richesse du répertoire libanais.


Le Festival est solidaire avec le Liban. Pouvez-vous nous dire comment ?

E.M. : La dimension solidaire a toujours été au cœur de la mission du festival, et le chœur s’inscrit pleinement dans cette démarche. Pour le concert du 27 juin à Saint-Sulpice, 25 % des recettes de la billetterie sont reversées au Foyer des Antonins à Mrouj, un orphelinat et centre social qui accomplit un travail remarquable auprès des enfants et des familles vulnérables. Au-delà de la musique, nous tenons à ce que chaque projet porté par le festival ait une portée humaine, un lien concret avec le Liban et un impact positif. C’est aussi une manière pour nous, depuis Paris, de rester connectés à la réalité du pays et de contribuer, à notre échelle, à soutenir celles et ceux qui en ont le plus besoin.


F.K. : Depuis sa fondation en 2019, le festival a toujours inscrit la solidarité avec le Liban au cœur de sa mission. Chaque année, la totalité des recettes des concerts est reversée à une structure libanaise dans le besoin : école, orphelinat, association ou centre culturel. Cette démarche concrète exprime notre engagement envers notre pays natal, dont les institutions et les communautés traversent de profondes difficultés. Pour le concert du 27 juin, 25 % de la billetterie sont versés au Foyer des Antonins – Mrouj, qui accueille un orphelinat, un centre social et une école maternelle. À travers ce geste, le festival poursuit son action de soutien, en mettant la musique au service de causes humaines et essentielles.

 

 

 

 

 

 

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