Portrait obstiné d’une mélomane libanaise
21/05/2025|Briac Saint Loubert Bié
Si vous êtes un lecteur assidu de l’Agenda, ou alors si vous ne l’avez découvert que récemment, ou bien même si vous n’y jetez un œil qu’une fois de temps à autre, vous n’avez pu que difficilement passer à côté du nom de Zeina Saleh Kayali. Depuis 2012, celle qui ne connaît dans la vie que deux passions, le Liban et la musique, exprime régulièrement sa puissante mélomanie dans les colonnes de l’AC. Mais pour une fois, d’autrice elle devient sujet, et accepte de nous livrer l’histoire d’une vie entièrement consacrée à promouvoir le patrimoine musical libanais.
Promouvoir un Liban créateur, non plus destructeur
« On ne peut réussir les choses que lorsqu’on est obstiné. » Et que Zeina soit obstinée, cela ne fait aucun doute. Une obstination qu’elle emporte avec elle en 1987, lorsqu’elle quitte le Liban pour la France, une maîtrise de droit en poche et 15 ans de piano dans les doigts. L’exil ne tarit pas la passion chez Zeina, au contraire, il l’alimente. Au gré des chœurs parisiens auxquels elle prête sa voix et de la licence en lettres et musicologie qu’elle suit par correspondance, Zeina tourne son regard vers son pays d’origine, découvre sa richesse musicale et les compositeurs qui l’ont nourrie. Mais quand elle se fascine pour le patrimoine culturel du Liban, le reste du monde ne retient que la guerre, la violence et la destruction qui l’accablent. Alors elle écrit, et dans ses articles se fait le chantre de ces compositeurs libanais avec une idée ferme : redorer l’image de son pays en promouvant sa culture, façonnée par 6000 ans d’histoire. « Si l’on ne pouvait exister politiquement, au moins fallait-il le faire culturellement » raconte la mélomane, comme une devise qui déterminera sa prolifique carrière à venir.
Le tremplin de l’Unesco
Et comme un symbole, c’est la musique qui va donner les moyens à ses ambitions. En 2002, à l’occasion d’un concert organisé au siège de l’Unesco à Paris auquel elle participe, Zeina fait la rencontre des membres de la Délégation permanente du Liban. Un poste se libère, et la voilà propulsée chargée de mission à la culture. « L’Unesco c’est un écrin, on vous écoute », et la mélomane va exploiter à fond la visibilité que lui offre son nouveau statut pour incarner la mission qu’elle s’est donnée. Rédiger des articles ne lui suffit plus, c’est des livres désormais qu’elle veut publier. En 2011, elle signe avec Vincent Rouquès son premier ouvrage, Compositeurs libanais, anthologie recensant les grands noms de la musique savante des XXe et XXIe siècles au pays des cèdres. Une publication fondatrice, puisqu’avec elle germe le projet d’un centre d'archivage spécialement dédié au patrimoine musical libanais. Très vite l’idée prend de l’ampleur, trouve chez Robert Matta un mécène, au Collège Notre-Dame de Jamhour un lieu pour l’accueillir, et en octobre 2012, le Centre du patrimoine musical libanais (CPML) est inauguré. L’obstination de Zeina a donné au Liban une structure autonome de préservation et de valorisation de ses productions musicales.
Compositeurs libanais précède une collection biographique publiée aux Éditions Geuthner, que Zeina dirige et dans laquelle elle signe par la suite neuf autres ouvrages : Figures musicales du Liban.
La musique savante entre Beyrouth et Paris
Mais il ne faut pas que cette musique, répertoriée avec soin par le CPML, reste cloisonnée dans ses archives, mais « qu’elle soit entendue en concert ». Zeina convainc d’abord le Conservatoire national du Liban de jouer une composition libanaise une fois par mois, puis décide de produire des représentations similaires à Paris. Aidée du pianiste et compositeur Georges Daccache, et soutenue par Khalil Karam, alors ambassadeur du Liban à l’Unesco, elle organise une quinzaine de concerts dans l’enceinte de l’organisation onusienne. Mais en 2018, M. Karam quitte ses fonctions et avec lui se ferment les portes de l’Unesco. « Alors Georges Daccache me dit qu’on ne devrait pas en rester là, avec l’expérience qu’on a et les contacts à portée de main » raconte Zeina. Georges est alors pianiste à l’église Notre-Dame du Liban à Paris. Les deux amis y organisent les trois premiers concerts de ce qui deviendra Les Musicales du Liban. Depuis sa création en 2019, ce festival prend une ampleur toujours grandissante : il s’est doté d’un chœur permanent dirigé par Fadi Khalil, et se produit dans divers lieux de la capitale française à raison de 4 à 5 concerts par an.
Encourager les jeunes talents
Mais la création la plus intime et la plus personnelle de Zeina Saleh Kayali est probablement la dernière en date. À Achrafieh se trouve la maison familiale, lieu de son enfance, malmenée par les violences de la guerre et soufflée par l’explosion du port en 2020. Une fois encore, la destruction pour Zeina n’est pas une fatalité, mais une nouvelle opportunité. En 2021, elle laisse le soin de sa rénovation à l’architecte Joseph Maroun. Ensemble ils fondent Beit Tabaris, qui ouvre ses portes à sa toute première masterclass en mai 2022. L’objectif : recevoir des séminaires d’une semaine où les jeunes musiciens libanais viennent se perfectionner sous l’égide des grands noms de la musique. Zeina veut donner aux jeunes artistes les moyens de faire grandir leur talent autrement qu’en quittant leur pays, mais le chemin reste encore long avant que de réels débouchés leur soient proposés qui les convainquent de rester. « On est encore loin au Liban de considérer la musique comme un vrai métier. Alors je ne peux pas les empêcher de partir, mais au moins je les encourage à revenir avec l’expérience qu’ils auront prise de l’étranger. »
Au regard de cette frénésie créatrice dépensée pour Liban et sa musique, on se demande quel projet va encore surgir de la tête de cette mélomane acharnée. Mais pour Zeina Saleh Kayali vient le temps de la transmission. Elle a quitté son poste à l’Unesco il y a tout juste un an, progressivement elle laisse la place à une équipe jeune et dynamique aux rênes des Musicales du Liban, et cherche des auteurs pour alimenter après elle la collection Figures musicales du Liban. Déjà, le dernier ouvrage paru est signé Sylviane Moukheiber, biographe de sa mère, la chanteuse lyrique Samia Sandri. « L’idée est que ces projets ne meurent pas » argumente Zeina. Celle qui a consacré sa vie entière à faire rayonner le patrimoine musical de son pays a conscience que c’est au Liban-même, dans la mentalité de ses habitants, que le plus gros travail reste à faire.
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