“Remembering the Light” : explorer les strates de l’oubli au musée Sursock
18/05/2025|Mathilde Lamy de la Chapelle
Jusqu’au 4 septembre, le musée Sursock accueille « Remembering the Light », de Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige. À travers cette exposition, le duo libanais explore les secrets de l’archéologie et ses récits souterrains. Une plongée dans une mémoire collective, nourrie par le regard de ces deux artistes, qui observent, sous leurs pieds, les décombres et les destructions, à la recherche de ce que le temps a enfoui.
Représenter l’invisible : quand la mémoire se cache sous nos pieds
À travers une dizaine d’installations, de la vidéo à la photographie, en passant par la tapisserie, les artistes, qui se définissent comme des « chercheurs », examinent les éléments qui nous entourent, à la recherche d’empreintes du passé. Pour ce faire, le duo collabore avec des experts – archéologues, ingénieurs, marins, poètes – aux regards affutés sur des pans de la réalité, détenant les clés de lecture d’une mémoire spécifique.
C’est ainsi que le film « Palimpsests » suit le travail de Philippe Fayad et Hadi Choueri, ingénieur et archéologue, analysant les « carottes » – ces prélèvements de terre des sites en chantier. Sous leur regard, les fragments prélevés révèlent des histoires enfouies, celles dissimulées sous nos pieds, inscrites dans la mémoire secrète des sols.
Tournée il y a sept ans, cette œuvre – qui inaugure le parcours de l’exposition – marque aussi le début d’une série de collaborations entre le duo d’artistes et professionnels d'autres disciplines. Pour l’installation « Time Capsule », le couple, guidé par des géologues, a collecté des éléments des sous-sols urbains. Ces strates, emprisonnées dans des cylindres de résine, rendent visible les empreintes de civilisations perdues et les bouleversements écologiques qui ont façonné nos territoires.
Mises bout à bout, ces installations proposent une lecture élargie de l’histoire humaine. Une histoire qui se compose d’un enchevêtrement de couches, de ruptures et de fractures. Bien loin de toute continuité paisible, l’exposition met en scène le cycle inéluctable de la destruction et de la régénération, qui relie la société libanaise contemporaine avec l’histoire, universelle et invisible.
Déconstruire nos certitudes et notre regard sur le temps
Dans cette exposition, le couple d’artistes interroge nos certitudes, nos croyances et nos représentations. Avec « Message With(out) a Code », Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige jouent sur l’illusion visuelle. Ce qui semble, de loin, être une photographie de tamis archéologique se révèle être une tapisserie, symbole de l’entremêlement des temps historiques.
En ébranlant nos perceptions, les artistes interrogent notre rapport au monde, à ce qui a été, à ce qui est, et à ce que nous désirons transmettre. L’installation « A State » aborde frontalement cette question, en donnant à voir la décomposition des déchets entassés dans une décharge à ciel ouvert, aux portes de Tripoli. Ces « techno-fossiles » se font le témoignage de notre époque contemporaine, l’héritage – déjà – de nos sociétés consuméristes.
En miroir, l’exposition nous invite à réfléchir sur ce que nous souhaitons conserver du passé. Dans le film « Remembering the light », qui donne son titre à l’exposition, Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige s’intéressent à la lumière sous-marine et à sa disparition progressive dans les profondeurs. Pourtant, alors que les couleurs s’éteignent peu à peu au profit du noir, une lumière émerge. Cette réminiscence du jour – gardée en mémoire et réfléchie par le plancton – se fait une invitation, un exemple. Celui de préserver les héritages de temps révolus, de les utiliser comme une boussole dans des temps assombris, comme le repère essentiel de notre identité et de notre humanité.
Rêver et créer dans un monde en déroute
À travers « Where is My Mind? », les artistes nous invitent à rêver, encore. Dans cette installation vidéo, les mots du poète grec Georges Séféris accompagnent des images de statues antiques, privées de visage ou de corps, symboles d’une perte d’identité et de liberté dans une société régie par les algorithmes. Dans un monde en déroute, seule la poésie résiste. Elle continue de s’écrire malgré la confusion. Dans un second film, « Waiting for the Barbarians », les vers de Constantine Cavafy résonnent, tandis que le monde vacille, figé dans l’attente l’ennemi.
Dans ces temps troublés, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige invoquent la poésie : un art entre fragilité et résistance, récits individuels et histoire collective.
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