ArticlesEvénements
Aujourd'huiCette semaineCe weekend

Pour ne rien manquer de l'actualité culturelle, abonnez-vous à notre newsletter

Retour

Partager sur

single_article

4/8/2020 : Tania Hadjithomas Mehanna

DOSSIER

05/08/2025


Où étiez-vous le 4 août 2020 ?

Nous avons quitté mon mari et moi notre maison de Gemmayzé à 17 heures 15 pour nous diriger vers l’hôpital Trad pour un rendez-vous médical à 18 heures. Mon mari venait de subir une intervention au dos et c’était sa première sortie. Si nous étions restés à la maison nous aurions certainement été blessés ou pire encore…

 

Comment avez-vous vécu cette journée ?

Le souffle et le bruit ont été terribles à l’hôpital Trad. On a cru que c’était l’hôpital qui avait implosé. J’ai eu tellement peur, comme jamais pendant la guerre. Je crois que c’était même au-delà de la peur comme un énorme choc physique d’abord, moral ensuite. On ne comprenait rien surtout et c’est ma fille de Dubaï qui m’a dit que c’était au Port. Quand j’ai pu arriver à la maison tout était chaotique. Plus de porte ni de fenêtre et les voisins avaient tous été blessés. Je ne pensais qu’à une chose : fuir. J’ai tout laissé en plan, ouvert, par terre, cassé et je suis partie vers le nord. Quand je suis arrivée, j’ai mis la télé et c’est là où j’ai compris vraiment l’ampleur de la catastrophe.

 

Quelles ont été les conséquences de l’explosion pour vous, sur le moment, dans les semaines, les mois et les années qui ont suivi ?

Le lendemain de l’explosion, je n’ai plus parlé pendant une semaine. J’ai reçu tellement de coups de fil de mes amis àl’étranger mais je ne pouvais pas répondre. C’était la sidération totale. J’étais figée, paralysée, choquée, muette. La tristesse est venue après, lorsque j’ai compris que ma vie ne sera plus jamais la même. Mon quartier, mon environnement, tout ce qui faisait mon quotidien n’existaient plus. Je ne suis pas descendue dans la rue de Gemmayzé durant plus d’un an, incapable de regarder. Mais ce cataclysme nous rattrape toujours dans les réunions avec les amis, la famille, les étrangers. Comment ne pas en parler ? Et dans ce cas, plus que les mots c’est le partage qui est important. Nous avons vécu la même chose et donc une forme de complicité s’est créée entre les Libanais et je trouve cela assez essentiel pour l’avenir.

 

Cinq ans plus tard, que ressentez-vous ? Que voulez dire ? 

En tant qu’hypnothérapeute et écrivain, il a fallu me reconstruire. Mon trauma était immense. Je ne parvenais plus àsoigner, à travailler ou même à écrire. J’ai dû quitter Beyrouth, me réfugier dans la nature pour me ressourcer. Cela a été très long. Là je vais mieux, beaucoup mieux. Surtout que je suis sûre que la vérité va éclater. On va savoir. On ne sera jamais guéri mais il faut apprendre à revivre. Et depuis que je suis loin de ma ville, j’ai appris à mieux l’aimer. J’ai une furieuse envie de la protéger. Et de protéger tous ceux qui, comme moi, sont meurtris. Mes clients en hypnose ont développé beaucoup de traumas depuis le 4 août et je m’efforce de les soulager. Apaiser les blessures et vivre avec les cicatrices.

 

Extrait de mon texte dans le livre "Créer après la catastrophe" édité par Sylvie Dallet et Élie Yazbeck.

thumbnail-0
thumbnail-0
0

Depuis 1994, l’Agenda Culturel est la source d’information culturelle au Liban.

© 2025 Agenda Culturel. Tous droits réservés.

Conçu et développé parN IDEA

robert matta logo