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Fondation Samir Kassir : 20 ans au service de la liberté

MAG

31/05/2025|Briac Saint Loubert Bié

Avec le mois de juin approchant s’amène la 17e édition du festival Le printemps de Beyrouth. Organisé depuis 2008 par la Fondation Samir Kassir, cette édition commémorera les 20 ans de l’assassinat du journaliste, penseur et historien libanais en 2005. L’occasion pour Ayman Mhanna, directeur exécutif de la fondation, de revenir sur la vocation de ce festival, et de tirer un premier bilan sur vingt années passées au service de la perpétuation de l’œuvre de Samir Kassir. 

 

Que représente pour vous la figure de Samir Kassir ? Qu'admirez-vous chez cette personne qui vous a donné envie de vous engager dans cette fondation ?

Samir, c'était l'exemple de l'intellectuel engagé. S'il y a un portrait robot de l'intellectuel engagé, c'est Samir. C'est l'éthique journalistique, mais en même temps la clarté de l'opinion, complètement alignée sur les questions de droit de l'homme, de liberté individuelle, et du droit de tous les peuples de la région de vivre en démocratie et en liberté.

C'est également une plume acérée. Ce qu'il écrivait dans les années 90, alors que le pays était sous occupation armée du régime syrien, témoigne d'un courage sans pareil. Et en même temps, c'est quelqu'un qui a su aligner des idées assez contradictoires d'habitude au Liban : la souveraineté du Liban, mais également un attachement à la liberté pour tous les peuples de la région, syriens, palestiniens, mais aussi au renouveau culturel de toute la région. Pour la première fois, la liberté du Liban n'est pas antinomique avec la solidarité aux autres peuples arabes.

 

Mais malgré cet humanisme et cette passion pour les droits de l'homme qu'il soutenait, il y a aussi, derrière tout ça, un militant politique. Comment produire un festival lié au nom de Samir Kassir sans pour autant paraître à son tour militant ?

Nous ne sommes pas une fondation dédiée à la mémoire et au souvenir de Samir. Nous sommes une fondation mue par les valeurs de Samir qui regarde de l'avant.

C'est le travail qu'a réussi l'équipe qui a créé cette fondation dès 2006, quelques mois après sa mort, en particulier son épouse, Gisèle Khoury. L'idée, c'était de créer une fondation professionnelle qui va défendre la liberté d'expression médiatique et culturelle à travers un travail de veille sur toutes les formes de violations auxquelles font face les journalistes et les artistes de tous les pays du Proche-Orient. Nous avons un programme de protection des journalistes persécutés, de formation à leur sécurité physique et numérique. Un autre de soutien aux médias indépendants, comment les aider à devenir pérennes dans un cadre économique très difficile, comment vraiment comprendre l'écosystème de la profession, qui change beaucoup avec la technologie. Et enfin nous veillons à maintenir Beyrouth comme capitale culturelle du monde arabe, qui peut présenter des œuvres qu'on ne pourrait jamais voir dans d'autres capitales arabes.

 

Plus spécifiquement, quelles valeurs portées par Samir Kassir Le Printemps de Beyrouth entend transmettre ?

L'accès de tous à l'art et à la culture, qui ne doit pas être uniquement réservé à ceux qui ont les moyens d'aller acheter des billets relativement chers. L'idée d’un accès gratuit à un haut niveau de qualité artistique et culturelle est l'élément essentiel de notre festival.

Et même quand il s'agit de spectacles de danse ou bien de concerts musicaux, il y a toujours une histoire humaine et humaniste chez les artistes qui présentent ce genre de travail, soit dans leur parcours personnel, soit dans le contenu qu'ils présentent, qui les rend compatible avec l'image et le message de notre festival.

 

Cette 17e édition du festival intervient aux 20 ans de la mort de Samir Kassir, donc il y a quand même un aspect mémoriel très fort.

Voilà pourquoi nous avons mis tout le festival et toutes nos autres activités liées aux 20 ans sous un même titre, « 20 ans pour la liberté ». Donc l'aspect mémoriel est présent mais il n'est pas omniprésent. Le festival commence le 1er juin avec une installation artistique en plein air sur la place Samir Kassir jusqu’au 8 juin. Le titre de cette installation est Le Communiqué du Rêve, Bayan el Helem, qui est l'un des articles iconiques de Samir. C'est littéralement un rêve, un rêve d'un monde arabe changé, d'un Liban différent, d'une Syrie différente, d'une Palestine différente, idéale.

Finalement, l'objectif vers lequel toutes nos activités tendent, est écrit dans cet article. Et c'est le son, le texte de cet article-là, lu par l'un des amis les plus proches de Samir, qui est aussi l'un des plus grands écrivains libanais, Elias Khoury, qui sera diffusé le long de cette installation. On entendra aussi la voix de Gisèle Khoury, qui parlera de l'engagement de la Fondation pour la liberté. Donc on ne racontera pas la biographie de Samir, ni son combat personnel. C’est un focus sur son rêve et ses aspirations, à travers les personnes dont il était le plus proche, sa femme et l'un de ses meilleurs amis.

 

Et diffuser ce rêve sur la place publique, accessible à tout le monde, est-ce aussi une invitation à rêver ensemble, à susciter l'engagement des gens ?

Absolument, nous sommes à deux pas de la place des martyrs, où Samir a été l'un des principaux moteurs du soulèvement populaire de 2005. Donc ça, c'est notre première activité pour ce festival.

Le 3 juin aura lieu la 20e cérémonie de remise du prix Samir Kassir pour la liberté de la presse, un prix de l'Union Européenne qui a été créé dès 2005, c’est donc là aussi la vingtième année. Il y aura de nouveau un passage artistique, théâtral, avec un grand metteur en scène libanais, Yahya Jaber, qui a dédié un texte à Samir. Il y démontre que même si son numéro de téléphone n'est plus accessible, ce numéro de téléphone, aujourd'hui, c'est le numéro de cette fondation.

 

Et alors, ce prix journalistique, quels sont les critères exactement ? Comment sélectionnez-vous les lauréats ?

Ce n'est pas le journaliste qui est candidat, c'est son article. Le contenu doit porter sur les thèmes de la liberté, des droits de l'homme, de la bonne gouvernance, de la participation citoyenne, de la démocratie. Le prix est ouvert aux journalistes de 18 pays du pourtour sud et est de la Méditerranée, donc Moyen-Orient et Afrique du Nord, ainsi que ceux des pays du Golfe.

C'est devenu l’un des prix les plus prestigieux du monde arabe, chaque année le nombre de candidats augmente. Cette année c'est un record, nous avons reçu 372 candidatures, venant de tous les pays de la zone. Et le fait qu'il y ait chaque année plus de candidats montre à quel point le nom de Samir résonne toujours, même auprès d'une génération de journalistes qui étaient très jeunes quand il a été assassiné, voire qui ne l’a peut-être pas connu, mais c'est son nom et son œuvre qui les attirent.

 

Vous célébrez cette année les 20 ans de la fondation Samir Kassir. Si vous deviez tirer un bilan sur ces vingt dernières années, quel serait-il ?

On disait toujours que notre objectif, c'était de ne plus exister, de ne plus avoir à exister. Malheureusement, nous sommes encore là.

Il y a une première source de fierté, c'est la pérennité de cette fondation. Elle est maintenant présente dans des forums internationaux en tant que contributeur de fond sur les grandes discussions comme la communication, les algorithmes ou encore l'aide internationale au développement.

Deuxièmement, le fait d'avoir réussi à maintenir et à affermir notre crédibilité. Nous sommes maintenant l'organisme qui fournit les gilets pare-balles et les casques aux journalistes, qui leur fournit une formation à la sécurité en milieu hostile. Nous avons créé une agence de publicité qui cherche à convaincre le secteur privé à placer sa publicité dans les médias indépendants plutôt que dans les médias cooptés par les pouvoirs politiques et économiques.

Le fait d'avoir diversifié notre portfolio est un grand élément de fierté. Mais en même temps, nous sommes conscients des nouveaux défis : la concentration des médias, l'instrumentalisation de la justice, les campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux… De même, il y a au niveau mondial une très grave crise au niveau des algorithmes de curation qui vont décider ce qu'une personne peut voir, occulter un autre type de contenu en fonction des intérêts privés de certains grands géants du web. Et en fonction de cela, les gens vont voter et prendre des décisions qui vont engager des générations à venir.

 

 

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