"Provoking The Territory" de MK Harb aux éditions Dongola est un livre qui invite le lecteur à s’asseoir calmement avec Bernard Khoury, à l’écouter avec humanité et rationalité. Le livre pose cette question : Comment construit-on une ville que l’on sait vouée à la destruction ?

Bernard Khoury, personnage controversé, provoquant par sa personne et par l’art de son architecture, réussit à faire de son œuvre quelque chose de non seulement visible, mais aussi critiqué et même haï, notamment par les amateurs de patrimoine et d’architecture traditionnelle. Il ne construit ni pour provoquer, ni pour être aimé ou détesté, mais pour exprimer et dire quelque chose.

L’auteur, MK Harb, embarque le lecteur dans un voyage d’exploration fluide et agréable, grâce à une écriture légère et un enchaînement harmonieux entre les épisodes historiques et personnels de la vie de Khoury.

Le livre présente Bernard, son grand-père Elias, maître menuisier, et son père Khalil, lui aussi architecte, qui n’a jamais renoncé à son rêve de devenir pilote.

Beyrouth, sa ville violente, morcelée, reconstruite, et toujours menacée (hélas), Khoury la connaît intimement. Il sait comment elle se replie sur elle-même, comment ses habitants se renferment comme stratégie – peut-être inconsciente – d’autodéfense.

Khoury l’a embrassée avec violence, tendresse et acharnement. Il a ouvert ses maisons à la lumière et au soleil, ouvert leurs fenêtres pour qu’elles respirent. Il n’impose jamais son espace à un lieu sans d’abord le connaître, l’explorer, savoir ce qu’il a été et ce qu’il pourra devenir bientôt, ce qu’il lui est permis d’être et ce qu’il doit contourner sans pour autant se perdre ni perdre l’identité du lieu.

Khoury ne croit pas à l’éternité. Le présent, le changement, et la régénération sont toujours présents à son esprit. Mais également préserver le patrimoine, sauvegarder la mémoire, et redéfinir le sens de la reconstruction sont trois piliers qu’il ne cesse de questionner dans chacun de ses projets.

Khoury vit sur le terrain de ses projets, comme il l’a fait à Dakar. Il a appris à connaître ses habitants, leur manière de vivre la plage et la corniche. En réponse, il a conçu un espace qui embrasse l’âme du lieu et enrichit leur expérience — qu’il s’agisse du sport matinal, de la danse, ou de la contemplation d’un coucher de soleil envoûtant.

Dans un entretien avec Raafat Majzoub, rédacteur en chef de la trilogie consacrée à l’architecture et professeur au MIT, celui-ci décrit Khoury comme l’un des rares architectes libanais à posséder une narration autour du bâtiment, et non seulement à propos de celui-ci. Car pour Khoury, le bâtiment fait partie de l’histoire de la ville et de la manière dont ses habitants interagissent avec elle. Et Beyrouth, pour Bernard, est violente. C’est pourquoi sa relation avec elle est violente.

Quant à sa relation avec les promoteurs immobiliers, Majzoub affirme que Khoury est l’un des rares architectes à "embrasser" cette relation de manière constructive. Il crée un partenariat pour pouvoir faire entendre sa voix dans l’espace public. La foi de Majzoub dans l’architecture de Khoury, qui suscite chez le spectateur joie, colère, ou encore le pousse à engager des conversations inconfortables sur la continuité de la guerre au Liban, est l’une des raisons pour lesquelles il a été choisi comme sujet de ce troisième livre. Le lien entre le Liban et ses guerres successives est un thème central. Majzoub repose alors la question : Comment construit-on une ville que l’on sait condamnée à la destruction ? Quel est l’état psychologique d’une génération vivant dans une ville comme Beyrouth aujourd’hui ?

Le livre, tel que décrit par Majzoub, ne traite pas l’architecture comme un acte individuel mais comme le fruit d’une collaboration entre plusieurs personnes confrontées aux lois, à la corruption, à l’histoire, au patrimoine, aux traditions, aux habitants, et à l’identité urbaine.

Plus encore, ce livre constitue une référence académique précieuse, notamment pour les étudiants en architecture qui aspirent à explorer leurs contextes locaux à travers les parcours de leurs pairs architectes, et à comprendre leurs mondes autrement. Majzoub revient sur son propre parcours en architecture, ainsi que sur celui de sa génération à l’Université américaine de Beyrouth et dans d’autres grandes universités du Liban, et souligne le manque manifeste de publications locales sur des architectes locaux influents.

L’équipe du livre ne défend pas l’architecte provocateur, ni n’adhère à ses idées, mais croit au dialogue – amical, pacifique, visionnaire, et surtout, informé et empathique. Pour Majzoub, ce livre est une douce invitation à un lieu violent.

"Provoking The Territory" ne glorifie pas Khoury, ne le condamne pas non plus. C’est un pont construit par l’équipe du livre pour comprendre "l’autre", le provocateur et son art, sa destruction, sa construction, sa vision — plutôt que de l’exclure ou l’isoler. C’est une opportunité de rencontrer ce qui semble agressif ou chaotique, d’une manière élégante et attachante.

L’architecte libanais Bernard Khoury, enfant de Beyrouth en colère, la regarde dans son entièreté. Il ne construit pas juste pour construire, mais pour raconter, pour qu’on y vive, qu’on y saisisse le présent, qu’on y possède le temps, qu’on s’y repose et qu’on y respire — dans cette ville bombardée le jour et qui veille la nuit, comme la décrit Majzoub.

Le livre fait partie de la trilogie publiée par la maison d’édition Dongola, spécialisée en architecture. Le premier volume était consacré à l’architecte jordanien Ammar Khammash, et le second à l’architecte syrien Nasser Rabbat.