ArticlesEvénements
Aujourd'huiCette semaineCe weekend

Pour ne rien manquer de l'actualité culturelle, abonnez-vous à notre newsletter

Retour

Partager sur

single_article

Zad Moultaka : Oro Lucem, prier la lumière pour traverser les ombres

Art

07/07/2025|Elora Hajjar

Au Centre d’art La Falaise, situé dans un coin lumineux du Var, Zad Moultaka dévoile Oro Lucem, la dernière étape d’un triptyque artistique entamé avec Oro Tenebris et Oro Terram. Après les ténèbres, après la terre, vient le temps de la lumière. Une lumière qu’on ne regarde pas simplement, mais que l’on prie, que l’on invoque, que l’on affronte parfois.

 

« Il faut combattre l’ombre par excès de lumière, donc il faut l’appeler comme on appelle la pluie en temps de sécheresse. » Le titre même de cette œuvre immersive donne le ton. Oro Lucem, littéralement « je prie la lumière », s’inscrit dans une quête intérieure, tendue entre les parts sombre de l’être humain et son désir de s’élever. Ce projet n’est ni un aboutissement, ni une résolution : il est passage, résonance, vacillement. Oro Lucem n’offre pas de réponses, mais nous invite à habiter pleinement la question.

 

La sensation du sacré

Zad Moultaka cherche, dans cette œuvre, à éveiller chez le spectateur quelque chose de rare et de précieux : la sensation du sacré. Non pas dans sa forme codifiée ou religieuse, mais dans sa dimension originelle, primitive. « Ce qu’on éprouve dans un lieu de culte mais débarrassé des chaînes que nous imposent les religions », dit-il. Ce sacré archaïque, qui précède les dogmes, circule à travers les matières, les sons, les lumières.

 

L’espace de l’installation est tapissé de couvertures de survie dorées, qui frémissent au moindre souffle, diffractant la lumière de manière quasi mystique. Une plaque de métal résonne à intervalles réguliers, rappelant les coups légers que les maîtres bouddhistes infligent aux méditants pour maintenir l’éveil. Ce bruit cyclique est à la fois apaisant et dérangeant : il empêche le corps de s’endormir, il veille sur l’âme.

 

Moultaka évoque aussi une histoire transmise par la poétesse Etel Adnan : celle d’un Amérindien qui, en remerciement d’un geste de solidarité, offre un objet sonore utilisé pour éloigner le danger. Cette anecdote résonne profondément dans l’œuvre : le son y devient un signal d’alerte, un mécanisme de protection, un appel à la vigilance.

 

Une œuvre polymorphe, à la croisée des disciplines

 

Compositeur de formation, plasticien reconnu, Zad Moultaka est aussi issu du monde du théâtre. Cette hybridité n’est pas un accident : elle est le socle de son approche. Oro Lucem n’est pas une installation au sens strict, mais une mise en scène totale, où chaque élément, lumière, son, matière, espace, est conçu pour plonger le visiteur dans une expérience sensorielle et spirituelle.

 

« L’installation impose une réflexion sur l’espace, la lumière, la scénographie... toutes ces composantes se retrouvent ici, auxquelles s’ajoute une dimension musicale. » Dans cette œuvre, l’expérience sensorielle prime : on n’y regarde pas une œuvre, on y entre, on s’y confronte, on y est traversé. Le visiteur devient à son tour pris entre ombre et lumière, entre silence et son.

 

Une traversée, du bas vers le haut

 

Le triptyque auquel appartient Oro Lucem trace un parcours symbolique et spirituel. Oro Tenebris, « prier les ténèbres », puis Oro Terram, « prier la terre », trouvent ici leur écho dans l’élévation lumineuse de cette nouvelle pièce. Est-ce une ascension, une forme de
rédemption ? Peut-être. Mais pour Zad Moultaka, la lumière n’est pas une récompense. Elle est, comme l’ombre, un état transitoire. « Le chemin initiatique réside dans le vacillement constant entre ces deux forces qui sont totalement interdépendantes. »

 

La lumière ne vient pas dissiper les ténèbres, elle les révèle. L’œuvre refuse les oppositions binaires : l’obscur et le lumineux s’enchevêtrent, comme dans la condition humaine. L’artiste ne cherche pas à transcender la matière, mais à en faire émerger la vibration.

 

Une œuvre née d’un lieu vivant

Conçue spécifiquement pour le Centre d’Art La Falaise, qui fête ses dix ans, Oro Lucem est aussi une rencontre entre une œuvre et un lieu. Ce centre, situé à Cotignac, est réputé pour son engagement radical en faveur de la création contemporaine, sous l’impulsion de Marc Tigrane. « C’est très agréable d’être accueilli par quelqu’un qui se situe à l’intérieur même de la problématique artistique », confie Zad Moultaka. Le rapport à l’espace y est fondamental : l’installation ne s’impose pas au lieu, elle entre en dialogue avec lui, parfois de manière conflictuelle. « L’œuvre et l’espace s’interpénètrent, jusqu’à trouver un terrain d’entente. »

 

Un souffle de lumière

Oro Lucem n’est pas une exposition classique, c’est une expérience. On n’est pas là pour regarder, mais pour ressentir. Tout est dans la vibration, le frémissement, l’écho. Zad Moultaka propose une forme de prière laïque, un espace de veille dans un monde agité. Une couverture de survie qui tremble à la lumière, un son qui résonne doucement : tout nous invite à rester présents, conscients.

 

A travers cette œuvre, Zad Moultaka rappelle que la lumière n’est pas seulement ce qui éclaire. Elle est aussi ce qui brûle, ce qui réveille, ce qui révèle.

thumbnail-0
thumbnail-0
thumbnail-1
0

Depuis 1994, l’Agenda Culturel est la source d’information culturelle au Liban.

© 2025 Agenda Culturel. Tous droits réservés.

Conçu et développé parN IDEA

robert matta logo